Concurrence dans l'économie numérique : l'UE veut rebattre les cartes
L'UE engage formellement le chantier de révision des lignes directrices sur les concentrations, notamment à l'aune de la digitalisation de l'économie.

Face à la digitalisation de l'économie, est-ce encore pertinent d'avoir des cadres d'analyse distincts pour les concentrations horizontales et non horizontales ?
L'UE pose la question dans le cadre d'un appel à contributions ouvert jusqu'au 3 septembre 2025. La première étape d'un processus de révision des règles qui gouvernent l'examen de ces concentrations. Celles relatives à l'intégration horizontale datent de 2004 ; celles sur l'intégration verticale et conglomérale, de 2008.
La numérisation, associée à la transition écologique et aux changements géopolitiques, a fait évoluer la réalité du marché, constate la Commission européenne. Ayant jusqu'ici traité au par cas les questions qui en ont découlé, elle estime désormais que cette approche risque de ne plus apporter "suffisamment de clarté et de prévisibilité" dans de futures affaires de concurrence.
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Entre effets de réseau et d'écosystème
L'appel à contributions se compose d'une consultation publique et d'un questionnaire "approfondi" axé sur 7 thèmes... dont la digitalisation.
En la matière, Bruxelles souligne la nécessité d'une analyse prospective, en particulier lorsque des concentrations impliquent des acteurs émergents ou qu'elles concernent un marché naissant potentiellement disruptif. Ce qui est aujourd'hui un complément peut vite devenir un substitut, nous résume-t-on.
Une stratégie commune consiste à acquérir des entreprises ou des actifs clés (données, trafic, capacité de calcul...) pour renforcer une position. Dans l'économie numérique, ce type de transaction entre difficilement dans le cadre d'analyse traditionnel. Les frontières sont floues, par exemple dans les fusions impliquant des entreprises actives sur plusieurs marchés : les produits doivent souvent être interopérables ou être proposés dans le cadre d'un écosystème.
L'effet de réseau est un autre aspect inhérent à la digitalisation. Il pose un défi : ne pas intervenir trop tard... mais pas non plus trop tôt. En particulier sur les marchés émergents ou en évolution rapide, l'historique des parts de marché étant susceptible de ne pas présager des effets futurs sur la concurrence.
Certaines transactions soulèvent des questions quant à la protection des données. A fortiori lorsque l'entreprise ciblée s'en revendique (risque de réduction des options pour le consommateur). Ou qu'une concentration induit la délocalisation de traitements hors de l'UE.
La dichotomie horizontal/vertical, déjà contournée dans la pratique
Dans un tel contexte, la Commission européenne s'est parfois abstraite, ces dernières années, de la dichotomie horizontal/vertical.
Il lui est arrivé d'enquêter sur de potentiels cas de restriction ciblée de concurrence (ne portant que sur certains acteurs). Laquelle était susceptible de se manifester, entre autres, par :
- Des restrictions d'accès à des services
Exemple du dossier Meta / Kustomer. Il était redouté que le groupe américain limite l'accès à ses services de messagerie pour les concurrents qui les exploitaient. - Une dégradation de l'interopérabilité
Exemple du dossier Google / Fitbit. Était crainte une suppression de certaines fonctionnalités ou leur intégration dans une offre premium. - De l'autopréférence
Exemple du dossier Amazon / iRobot. Le premier aurait pu être tenté de réduire la visibilité des concurrents du second sur sa marketplace.
Les concentrations sous le prisme data
La Commission européenne mentionne aussi ses enquêtes sur les effets horizontaux de concentrations non horizontales. Sans forcément qu'il y ait un "comportement" d'entrave, mais qui, vu la structure et la dynamique du marché, peuvent renforcer la position de l'acquéreur. Notamment :
- Par agrégation de données
Exemple du dossier Apple / Shazam. Les effets de cette agrégation ont été évalués selon la méthode dite 4V : variété (composition du dataset), vélocité (vitesse de collecte des données), volume et valeur. - Par combinaison d'activités complémentaires
Exemple du dossier Booking / eTraveli. L'acquisition de cette agence de voyages en ligne représentait, pour Booking, un canal important d'acquisition client sur la partie hébergement. - Par élimination d'un nouvel entrant potentiel
Exemple du dossier Adobe / Figma. Le premier aurait pu être tenté d'abandonner le développement des produits du second, bien placé pour entrer en concurrence avec lui.
Parmi les enquêtes impliquant des marchés naissants, il y eut celle sur Microsoft et Activision Blizzard. La Commission européenne s'est intéressée aux éventuels effets sur le segment encore émergent du cloud gaming.
La question des données fut au coeur de l'examen du rapprochement entre Microsoft et LinkedIn. Dans ce cadre, il a été considéré que la protection de la vie privée était un "paramètre de qualité important" dans la concurrence entre réseaux sociaux professionnels. Et que cette acquisition était susceptible de restreindre les choix des consommateurs dans le domaine.
La révision des règles d'examen des concentrations doit permettre d'intégrer tous ces aspects. Tout en déterminant des "délais acceptables" de traitement des dossiers et des indicateurs qui présageraient des tendances futures.
Illustration générée par IA
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